De nos jours, il est très commun d’entendre ou de lire sur internet et dans les médias que les abeilles sont en voie de disparition. Mais il est beaucoup plus rare d’être informé sur les actions de protection qui sont mises en place en France. Cet article présente le fonctionnement des conservatoires de l’abeille noire, espèce native de notre pays. Certains de ces refuges se sont implantés sur des îles bretonnes, baignées par l’Océan Atlantique. Ces ruchers profitent de l’isolement insulaire, du calme et de l’absence de pollution pour élever des abeilles et produire des essaims. Alors sur Balade Baie Littoral, comme nous aimons la Bretagne et les actions visant à valoriser la faune et la flore, nous avons décidé de vous présenter tout cela. Lisez plutôt.

Qui est l’abeille noire ?

L’abeille noire est l’une des nombreuses sous-espèces d’abeilles mellifères. C’est-à-dire de l’abeille qui produit du miel. Les scientifiques la nomment Apis mellifera mellifera et elle est autochtone à l’Europe de l’Ouest. On la retrouve depuis les Pyrénées jusqu’en Scandinavie. Et c’est l’unique abeille indigène en France.

Comme toutes les abeilles mellifères, elle vit en colonie. Dans la nature, un essaim investit le creux d’un arbre ou bien une cavité entre des rochers pour y fonder un nid. Chaque nid, construit de cire, est le lieu de vie d’une reine et de plusieurs milliers d’ouvrières. Quelques mâles – les faux-bourdons – viennent à naître durant le printemps et l’été. Leur rôle est de féconder les jeunes reines qui devront prendre leur envol pour fonder de nouvelles colonies. Alors que les ouvrières ont de nombreuses missions à remplir durant leur courte existence : nettoyer les alvéoles et les rayons, nourrir les larves, emmagasiner le miel, défendre l’entrée de la ruche et récolter le nectar.

Comment reconnaitre l’abeille noire ?

Premier indice simple pour la reconnaitre, elle est, comme son nom l’indique noire. Elle a un abdomen court et large, qui en fait un insecte trapu. Enfin, son tomentum, cette zone couverte de poil entre la tête et l’abdomen est particulièrement étroit comparativement à d’autres espèces d’abeilles comme la Buckfast par exemple.

Une abeille noire butinant une fleur
L’abeille noire est apparue en Europe il y a 100 000 ans

Quelles sont les menaces pour ce pollinisateur ?

Les abeilles sont des insectes importants pour les écosystèmes. Elles pollinisent les fleurs d’un grand nombre d’espèces. Ces plantes ne pourraient pas se reproduire sans le passage des abeilles sur leurs fleurs. En effet, ces insectes en venant chercher du nectar se couvrent de pollen. Et ils permettent la fécondation en déposant des grains de pollen sur les pistils des plantes aux alentours. Les fleurs se transforment en fruits. Puis les fruits libèrent leurs graines. Vous connaissez la suite.

L’Homme a aussi besoin des abeilles. Il consomme leur miel depuis la préhistoire. Ce qui lui a sans doute permis de survivre dans un environnement hostile où le sucre était très rare durant une grande partie de l’année. De nos jours, cette dépendance vis-à-vis de ces hyménoptères est plus discrète, mais elle perdure. L’abeille contribue à polliniser plus de 60% des plantes cultivées par l’Homme et qui sont à la base de son alimentation. La raréfaction des abeilles et d’autres pollinisateurs posent maintenant des problèmes préoccupants. Et l’une des conséquences de la disparition des abeilles est l’augmentation des coûts de production des fruits et des légumes.

Ainsi, il faut se pencher sur les causes de la disparition des abeilles. Car l’environnement perdrait un important auxiliaire et l’Homme pourrait par la suite se retrouver menacé par manque de nourriture. Parmi les facteurs principaux, nous pouvons notamment citer :

  • L’agriculture intensive
  • La pollution génétique
  • Le varroa
  • Le frelon asiatique
  • Le réchauffement climatique

L’agriculture intensive

Jusqu’au milieu du XXème siècle, l’agriculture en France était peu intensive. Mais l’après-guerre a rendu nécessaire la révision d’un modèle de production qui était encore tourné vers l’autosubsistance. Les exploitations agricoles se sont spécialisées et se sont agrandies. La mécanisation et l’usage d’intrants est devenu nécessaire pour nourrir une population en constante croissance. L’usage des insecticides est devenu une nécessité pour que ce modèle contre nature reste soutenable.

Malheureusement, l’emploi des insecticides de synthèse à fait de lourds dégâts du côté des insectes pollinisateurs. Car les poisons tuent sans faire de discernement entre les pucerons et les butineuses. L’un des plus toxiques, le gaucho, a fait son apparition sur les cultures durant les années 90. En quelques années, des milliers de colonies d’abeilles ont été anéantis par ce néonicotinoïde. L’abeille noire a payé le prix fort.

Abeille victime des pesticides utilisés dans l'agriculture intensive.
Les abeilles sont menacées par les pesticides employés par l’agriculture intensive

La pollution génétique

La mortalité des colonies et le besoin d’accroître la taille des ruchers est à l’origine de l’importation d’essaims d’abeilles en provenance d’Italie et d’Europe centrale. Ces abeilles qui viennent d’autres régions d’Europe sont différentes. Elles ne se comportent pas comme les abeilles noires. Elles sont plus sensibles aux hivers français et ne peuvent survivre qu’avec les soins des apiculteurs.

L’introduction de ces abeilles étrangères est à l’origine d’hybridations. Les abeilles noires pures sont devenues très rares, car elles ont laissé place à des abeilles métisses. Malheureusement, ces croisements ne sont pas adaptés au climat et à la flore de notre pays. Et ces descendances périssent, si les conditions deviennent défavorables. Les gènes de l’abeille noire – résultat de milliers d’années d’évolution – sont en train de disparaître.

Le varroa

Le varroa est un acarien parasite des abeilles qui est originaire d’Asie orientale. Il est arrivé en France en 1982 et à rapidement causé d’importants dégâts dans les ruchers et chez les abeilles sauvages. Beaucoup d’apiculteurs ont mis la clé sous la porte ou ont arrêté leur loisir à cause de ce ravageur.

Depuis, la pratique de l’apiculture n’est possible qu’en suivant de prêt les infestations des ruches et en utilisant des traitements chaque année. C’est suite à l’arrivée du varroa que l’apiculture est devenue une affaire compliquée. Bien différente de l’apiculture qu’ont connu nos grands-parents.

Partout où le varroa est présent, la mortalité hivernale des colonies est supérieure à 50%, si aucun traitement n’est effectué. Par contre, en absence de ce parasite, seulement 3% des colonies d’abeilles succombent en hiver. Les rares îles bretonnes épargnées par ce parasite sont donc des sanctuaires pour les abeilles.

Le varroa destructor est acarien parasite pouvant décimer des colonies entières d'abeilles noires
Un varroa destructor sur une nymphe d’abeille. Cet acarien est un fléau pour les colonies d’abeilles.

Le frelon asiatique

Arrivé en France en 2004, le frelon asiatique est un danger pour les abeilles et de nombreux autres insectes pollinisateurs. Sans oublier que ses piqûres représentent un danger réel pour les personnes allergiques au venin d’hyménoptères. Ces guêpes de grande taille sont des prédatrices implacables. Et lorsqu’elles ont repéré une ruche, elles répètent inlassablement les attaques, jusqu’à anéantir la colonie d’abeilles.

Le réchauffement climatique

Les îles bretonnes bénéficient d’un climat océanique particulièrement doux. Les gelées sont exceptionnelles et elles ne sont pas touchées par les vagues de chaleur. Ainsi à l’abri des extrêmes, les abeilles qui vivent sur les îles bretonnes ne souffrent pas du dérèglement climatique.

Mais ailleurs, le réchauffement climatique menace les abeilles. Notamment les races hybrides qui ne savent pas bien réguler la température de leur nid. Ni adapter la taille de leur population en fonction des saisons.

Où vivent les abeilles noires ?

Les îles bretonnes ne sont pas des cailloux arides balayés par les embruns et les vagues de l’Océan Atlantique. Il est vrai que la végétation y est souvent rase, les arbres rares et que le vent marin peut y souffler fort. Mais ces enclaves – que certains jugeront inhospitalières – sont aussi des refuges pour des animaux et des plantes qui y vivent isolés du continent. Les îles bretonnes ont été identifiées par des apiculteurs comme de parfaits refuges pour les abeilles noires.

A lire aussi : Où partir en Bretagne la première fois

En effet, plusieurs îles sont suffisamment distantes des côtés pour ne pas être naturellement colonisées par des abeilles continentales. Ces insectes – bien que très endurants – sont incapables de franchir des bras de mer de plusieurs kilomètres. De plus, les mairies ou les départements ont publié des arrêtés qui interdisent d’introduire des abeilles depuis le continent, mais aussi du matériel apicole usagé, potentiellement contaminé par des agents pathogènes. Les abeilles qui vivent sur les îles ne risquent pas de s’hybrider avec un faux-bourdon étranger. Elles peuvent alors garder leurs particularités génétiques.

L’environnement des îles bretonnes comme Ouessant est favorable aux abeilles noires
L’environnement des îles bretonnes est favorable aux abeilles noires

Les îles bretonnes ne sont pas concernées par l’agriculture intensive. Et l’emploi des insecticides sur les cultures y est rare. Les abeilles ne risquent pas l’intoxication, comme cela est malheureusement le cas en France continentale. Ces îles sont aussi protégées par leur éloignement des varroas et des frelons asiatiques. Les abeilles n’ont pas de prédateurs dangereux et l’on retrouve ainsi des colonies sauvages qui ont malheureusement disparu partout ailleurs.

Conservatoire d’Ouessant

L’île d’Ouessant est située à 15 kilomètres au large des côtes du Finistère. C’est la terre bretonne qui s’avance le plus loin dans l’Océan Atlantique. Il faut ainsi pas loin de trois heures de ferry au départ de Brest pour y mettre pied. Mais cela n’a pas découragé des apiculteurs bretons de créer un conservatoire de l’abeille noire. Celui-ci a été initié durant les années 80, alors que le varroa faisait des ravages dans les ruchers. Le but était de mettre à l’abri quelques lignées – des Monts d’Arré – pour que survive un insecte que l’on pensait déjà voué à disparaître.

Le rucher d’Ouessant est tenu par l’Association conservatoire de l’abeille noire bretonne. 150 ruches sont surveillées et soignées par les apiculteurs adhérents. Et un miel de grande qualité est produit chaque année. Le film suivant présente l’abeille noire bretonne et le travail de l’ACANB.

Conservatoire de l’Île de Groix

Au sud du Morbihan, l’île de Groix accueille un réseau de ruchers qui fait partie de la FEDCAN, la Fédération européenne des conservatoires de l’abeille noire. Ce groupement œuvre à la protection de l’abeille noire, mais aussi à vulgariser des pratiques apicoles plus naturelles.

Bien que le varroa soit présent sur l’île, les apiculteurs ne pratiquent pas de traitement chimique contre cet acarien. L’équilibre des ruches est respecté. Pour preuve, on y retrouve à l’intérieur le braula, une petite mouche qui a disparu de la plupart des ruchers de France suite à l’usage des acaricides.

Conservatoire de Belle-Île en Mer

Le conservatoire de Belle-Île en Mer est géré par l’APCANBI (Association pour la protection et la conservation de l’abeille noire de Belle-Île), depuis les années 80. Cette association – également membre de la FEDCAN – est responsable d’un rucher peuplé d’abeilles noires.

Actuellement, pas moins de 1000 ruches d’abeilles noires sont gardées par deux apiculteurs professionnels et une vingtaine d’apiculteurs amateurs. Ce pool génétique important est très précieux pour l’avenir de l’abeille noire. Et l’implication des professionnels est la preuve qu’il est possible de rentabiliser une production de miel avec une abeille locale. L’abeille noire peut donc couler des jours heureux sur cette île bretonne.

Comment aider les abeilles noires ?

Comme nous l’avons vu, les abeilles mellifères et l’abeille noire en particulier font face à de nombreuses menaces. La survie de cette espèce utile est en jeu. Et chacun peut aider à la conservation d’Apis mellifera. Mais il ne faut pas s’arrêter à commenter des articles et des posts sur les réseaux sociaux. Il faut changer soi-même pour impacter son entourage et son environnement.

Voici quelques pistes pour préserver les abeilles (mais aussi l’environnement en général):

Consommer responsable et local

En premier lieu, on peut modifier ses habitudes de consommation et acheter du miel qui a été produit par des abeilles noires. Il existe des labels de qualité qui attestent de la provenance du miel. C’est le cas de la marque belge Miel de Noire. Mais des apiculteurs professionnels français emploient aussi l’abeille noire et le signalent sur les pots de miel qu’ils vendent.

Prenez le temps de lire les étiquettes des pots de miel (comme des autres articles que vous pouvez acheter d’ailleurs). La provenance du miel doit y être précisée puisqu’il s’agit d’une obligation légale.

Élever des abeilles noires

Posséder quelques ruches, c’est constituer un petit conservatoire dans son jardin. Mais l’apiculture ne s’improvise pas. De plus, il peut être dangereux de manipuler des ruches sans connaître les techniques. Car les abeilles sont des insectes piqueurs.

Pour élever convenablement les abeilles, il faut connaître leur comportement, les bonnes pratiques en apiculture, sans oublier la réglementation qui s’applique aux apiculteurs amateurs. Il est donc nécessaire de se former correctement auprès d’un rucher école avant d’acquérir ses premières ruches.

Pour trouver une école en apiculture, vous pouvez consulter un annuaire qui répertorie les centres de formation apicole en France, Belgique, Suisse et Canada.

Il est aussi possible de suivre une formation à la théorie apicole à distance et par des visioconférences. Le lien ci-dessus vous renseignera sur ces modalités innovantes d’apprentissage. Enfin, n’oublions pas que l’apiculteur doit se documenter constamment. Plusieurs revues spécialisées sont éditées en langue française. C’est le cas d’Abeille de France. Des experts ont aussi écrit des livres que l’on peut trouver facilement en vente à distance.

Des apiculteurs surveillent l'état de leurs ruches
La pratique de l’apiculture permet de préserver l’abeille mellifère

Jardiner en pensant aux abeilles

Si vous ne pouvez pas installer quelques ruches dans votre jardin ou que vous craignez les piqûres, vous pouvez encore venir en aide aux abeilles. Plantez des arbres et des arbustes qui portent des fleurs en quantité. Mais surtout des fleurs qui produisent beaucoup de nectar et de pollen (les abeilles raffolent des fleurs odorantes). Choisissez des espèces et des variétés locales. Si vous ne les trouvez pas en pépinières rabattez vous vers des plantes exotiques. Ou bien laissez pousser les mauvaises herbes dans un coin de votre jardin. Après quelques mois ou années, des arbustes de votre région feront leur apparition. Si vous n’avez pas de jardin et que vous vivez en ville, fleurissez votre balcon. Les abeilles sont partout et elles ont besoin de vous.

Pour résumer

L’abeille noire rassemble autour de sa cause des amateurs et des professionnels soucieux de la survie de cette sous-espèce indigène en France. Des personnes actives ont créé des conservatoires dans toutes les régions de l’hexagone. Et elles sont fédérées et représentées par la FEDCAN.

La Bretagne comporte trois conservatoires, tous situés sur des îles éloignées des côtes. L’insularité est en effet la meilleure des garanties pour protéger l’abeille noire des hybridations, mais aussi de la pollution et des parasites.

Ces conservatoires sont gérés par des associations. La protection de l’abeille noire est assurée en grande partie par des bénévoles. C’est paradoxal pour un insecte qui assure la survie de nombreuses autres espèces et la rentabilité des systèmes de production agricole.

L’Homme devrait prendre conscience de l’importance de protéger les dernières abeilles autochtones. Vous pouvez contribuer à changer la donne en aidant ces associations. Une simple adhésion est un geste généreux. Mais vous pouvez aller plus loin en :

  • Changeant vos habitudes de consommation
  • Fleurissant votre jardin de plantes mellifères
  • Pratiquant l’apiculture avec l’abeille noire

Nous espérons que cet article vous aura intéressé et sensibilisé à la nécessité de prendre soin. N’hésitez pas à le partager sur les réseaux sociaux. Car son message est important. Maintenant, vous savez que les îles bretonnes sont les derniers refuges pour une abeille qui – jadis très commune – a pratiquement disparu de nos villes et campagnes.